Empathie, efficacité et le désir de s’adapter : la prothèse de pied KLIPPA conçue par Kai Lin est inspirée des chamois... et de l’envie d’aider les gens. C'est l’histoire de Kai et sa rencontre avec Craig DeMartino, grimpeur chez Arc'teryx, à partir de laquelle les deux proposent une solution miracle pour les grimpeurs handicapés, une prothèse de pied incroyable, qui ne fait pas que relever le niveau, sinon qu’elle leur permet de reprendre totalement confiance en eux. Presque un super pouvoir, en somme.
Arc’teryx est un groupe de designers, de perfectionnistes, de créateurs et de passionnés d'outdoor. Dans ces histoires, nous célébrons ceux qui s'attaquent à des problèmes complexes, et qui mettent le design au centre pour les résoudre.
Aujourd’hui, il est temps de réfléchir au delà du produit, et de partager notre soif de résoudre des problèmes.
Le design est notre façon d’y parvenir. À vous d'agir.
Les grimpeurs Craig et Cyndy DeMartino vivent au pied du Big Thompson Canyon, dans le Colorado. Lorsque le canyon devient plus étroit, des murs de granit escarpés s’élèvent au-dessus de la rivière. Il n’y a aucun sentier de sortie. Si vous deviez enfiler des chaussons d’escalade et essayer de grimper à la paroi, vous évolueriez dans des parois en 5c ou 6a. Souvent, les DeMartino se sont arrêtés pour admirer une famille de chamois dévaler la corniche pour aller boire à la rivière. Le couple s’est toujours émerveillé des appuis de ces animaux sur le rocher.
« Le pied humain réalise chaque minute des milliers d’actions dont nous ne sommes pas conscients », explique Craig DeMartino, le premier sportif handicapé à grimper le Nose en une journée.
Lorsqu’une personne est amputée d’un membre si complexe et sophistiqué, une simple prothèse ne peut pas le remplacer. « Quelqu’un m’a suggéré de voir la prothèse comme un marteau », raconte Craig DeMartino à propos de la remise en question qu’il a vécue lorsque son mollet droit fut amputé à la suite d’un accident d’escalade, en 2012.
« Un marteau est un outil que tu utilises pour réaliser des tâches spécifiques. C’est ce que fait une prothèse : une action spécifique. Et ne t’attends pas à ce qu’elle le fasse aussi bien que ton membre perdu. »
À 54 ans, DeMartino a toute une collection de jambes. Une pour marcher, une pour grimper... Aucune d’entre elles n’est idéale. Mais il est devenu un maitre de l'adaptation, travaillant avec les outils à sa portée.
De l’autre côté du monde, tandis que Craig DeMartino s’adaptait à sa nouvelle vie post accident, un garçon de 10 ans grandissait parmi les 6 millions d’habitants de la petite ville industrielle de Fuzhou, en Chine, centre de confection pour Nike, Adidas et Fila.
Kai Lin adorait dessiner. Il avait l’habitude de s’enfermer dans sa chambre prétendant qu’il travaillait, pour pratiquer sa passion secrète, une option de carrière mal vue dans une économie industrielle en plein boom. « Ma famille voulait que je sois bon étudiant. Dessiner était ma façon de m’exprimer, sans avoir à penser aux contraintes ou aux limitations. C’était mon moyen d’échapper à la réalité. »
Lorsque la famille de Kai émigre aux États-Unis alors qu’il a 15 ans, ce carcan disparaît. Il a tout à coup la permission d’être un artiste — mais il doit d’abord s’adapter à cette nouvelle vie de lycéen américain du Queens.
« En Chine, j’étais comme le reste des gens », explique Lin. « Je faisais partie de la majorité. Je ne pensais pas beaucoup aux autres. En déménageant aux USA, j’ai été exposé à tellement de personnes différentes, de tellement d'origines différentes. Être témoin de leurs problèmes au quotidien m’a rendu bien plus empathique. »
S’adapter à une nouvelle culture a développé le sens de l’observation de Kai, une compétence qui s’est enracinée pendant les 12 années suivantes. « C’est presque une seconde nature pour moi de demander — à quoi pense cette personne ? — » ou « de quoi à t-elle besoin ? Comment puis-je améliorer sa situation ? »
Après que Lin soit rentré à l’école de design du Pratt Institute, il a abandonné l’illustration en tant que matière principale, pour se concentrer sur le design industriel. L’art lui semblait trop égocentré. « Je voulais faire plus que dessiner pour m’exprimer. Je voulais travailler sur des solutions spécifiques à des problèmes réels que rencontrent les gens. »
En troisième année d’école, il découvre par hasard sur YouTube une vidéo de chamois escaladant un mur pratiquement vertical.
Comment sont-ils capables de se déplacer ainsi ? Il visionne la vidéo de nombreuses fois, intrigué.
« Pourquoi les humains n’ont-ils pas ce super pouvoir ? T'imagines concevoir un pied capable de ça ? »
Après une chute de 30 mètres qui aurait dû le tuer, la nouvelle vie du miraculé Craig DeMartino devait faire avec un dos lourdement opéré, un torse tordu sur la gauche et plus de mollet droit. S’il a été capable d’adapter sa vie et son état d’esprit, DeMartino n’était pas ingénieur. Il fallait que techniciens s'y interessent, or personne n'était prêt à investir du temps et de l'argent dans l’amélioration des prothèses pour l'escalade. Il n’y avait tout simplement pas assez de demande.
« Avant, cela me frustrait réellement, mais ensuite j’ai réalisé la taille du marché... Le pied que j’utilise s’est vendu à seulement 52 exemplaires l’an passé. »
La plupart des prothèses sont développées pour la marche, pas pour l’escalade. Le pied est épais et costaud, afin d’améliorer l’équilibre. DeMartino a une prothèse spécifique pour l’escalade qu’il utilise pour grimper dans des voies de niveau 7. Néanmoins, le rêve de ce sportif professionnel et de sa femme est un pied détachable ultra costaud, qui lui permette de grimper des fissures étroites exigeantes, sans rester coincé.
Et si en plus la prothèse est belle, banco.
« Mon pied dédié à l’escalade est performant sur différents terrains, mais il ressemble à un pied d’enfant, c'était pas terrible. Si vous vous regardez et pensez, “je suis fort”, alors cela devient votre état d’esprit, qui forge votre motivation. “Je suis fort.” Si vous pensez comme ça et que vous avez cet état d’esprit, alors vous allez probablement atteindre votre but. À peine vous attaquez la voie, vous pensez “je vais envoyer facile !” Si lorsque je mettais une prothèse, les gens pouvaient dire “Waouh, c’est de la bombe ce truc. Je kifferais en avoir une”, cela me donnerait encore plus de force. »
Et c’est là qu’intervient Kai Lin : « Je pense que je pourrais t’aider. »
En 2014, la prothèse de jambe inspirée des chamois de Kai Lin, appelée KLIPPA (falaise en suédois) arrive finaliste américaine du James Dyson Award. L’histoire fait le tour du web : un étudiant en design, jeune et intelligent, conçoit un modèle ultra technique inspiré de la nature, qui pourrait aider les vétérans de guerre à surmonter leurs traumatismes ! Kai est présenté à DeMartino par des réalisateurs, fait les gros titres, répond à des interviews, mais le projet patine. Kai a besoin d’argent pour construire un prototype fonctionnel, de collaborateurs pour le tester, or il est occupé par son premier travail comme designer industriel.
Pourtant, les réactions des grimpeurs handicapés et des membres de leur famille, ainsi que celles des prothésistes continuent à lui donner envie de travailler sur son design, sachant qu’il pourrait faire la différence pour une petite communauté de personnes dont les besoins ne sont pas encore satisfaits.
Ses recherches le conduisent même à s'essayer à l’escalade, sortant de sa zone de confort. « Le fait d’étudier le problème depuis mon point de vue m’a permis de créer un concept qu’un grimpeur professionnel n’aurait peut-être pas imaginé. »
Le projet prend un nouveau souffle quand Arc'teryx, à la recherche d'inventeurs opérant en dehors de le coeur de métier, offre à Kai la possibilité d’utiliser son imprimante 3D et le reconnecte à Craig pour tester le modèle.
C’est la part du processus que préfère Kai : le moment de vérité, lorsque l’hypothèse est testée. « Est-ce que ça va fonctionner ? »
Lorsqu’il a imaginé la prothèse, Kai avait des cauchemars de grimpeurs tombant de falaises. La responsabilité était lourde à porter.
Il a prévenu Craig, « Il est possible que lorsque tu l’essayes, la prothèse tombe, ou se casse. »
Celui-ci l’a rassuré : « Même si la jambe prend feu, je vais me débrouiller. »
Un mois avant que DeMartino s’envole à Indian Creek pour tester les prototypes de la prothèse Klippa de Kai, il emporte une prothèse d’un autre type au Mexique pour la tester. « Je pensais sincèrement que ça allait être incroyable, mais la prothèse s’est entièrement cassée. J’étais dévasté. Elle s’est cassée de différentes manières totalement imprévisibles. Cela m’a fait réaliser que je n’y connais pas grand-chose en design. »
Pour concrétiser son rêve d’une meilleure prothèse dédiée à l’escalade, la solution à son vieux rêve de retourner à la grimpe, Craig DeMartino a eu besoin d’une intervention inattendue - celle de quelqu’un qui est sorti de sa zone de confort, a suivi sa curiosité, remonté ses manches et affronté la peur de causer des accidents par sa faute.
Craig ne s’attendait pas à rencontrer quelqu’un comme Kai, mais lorsque Kai s’est présenté, il a voulu le connaitre tout de suite. Ensemble, ils pourraient bien changer le monde. Tout du moins, celui d’une poignée de gens qui aimeraient surmonter leur traumatisme et leurs imperfections, pour retrouver la source inépuisable de leur force. Peut-être qu’ils n’y arriveront pas cette fois-ci. Mais au moins, ils iront au bout du chemin ensemble.
Kai sourit lorsqu’il repense aux débuts de son projet, 5 ans auparavant. Le lien entre les chamois, les prothèses et les grimpeurs amputés est apparu sans prévenir. « Je n’imaginais pas que cette idée se traduirait en des années de R&D ainsi que de nombreuses opportunités. J’aimerais pouvoir plus offrir mes services comme bénévole durant mon temps libre, mais j'aime à penser que le design est aussi pour moi une façon d’aider les autres. Je peux concevoir des objets spécifiques qui améliorent la vie des gens au quotidien. C’est ce qui me réussit, et c’est à ma portée.
L’Adaptive Climbing Group encourage l’accessibilité à l’escalade pour les personnes handicapées. Aidez-nous à les soutenir.
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